Les échanges s’inscrivent dans une longue tradition. A l’origine, « faire un échange » , c’était, à titre individuel, passer un certain temps en immersion totale dans le pays étranger, et participer à la vie de la famille qui vous accueillait . Afin d’élargir à un plus grand nombre d’enfants ces pratiques souvent réservées à quelques privilégiés qui avaient des contacts dans les pays d’accueil, l’institution propose aux germanistes une déclinaison du principe : six mois pour le programme Voltaire, deux à trois mois pour le programme Sauzay, et trois à six semaines pour le programme Heinrich Heine, tous trois soutenus par l’OFAJ. Dans les deux premiers cas, l’élève fréquente l’école avec son correspondant, et s’initie à la vie authentique d’un jeune de son âge. Il a ainsi la possibilité d’élargir son cercle de connaissances selon ses affinités et d’avoir une vie sociale. Possibilité qu’il pourra retrouver en tant qu’étudiant en participant au dispositif Erasmus, qui lui permettra de passer un ou plusieurs semestres à l’étranger voire d’obtenir un double diplôme.
En classe, il n’était pas rare que le professeur mette ses élèves en rapport avec des « correspondants ». Parfois, il s’agissait d’un simple échange de courriers longtemps attendus et lus avec un grand intérêt. Le professeur alternait alors correspondance personnelle et correspondance de classe, l’un n’allant pas sans l’autre si l’on voulait que le lien s’instaure. Cette prise de contact directe permettait de trouver des indications et des renseignements de tous ordres, à titre pour ainsi dire documentaire. Sauf exception ponctuelle, ce projet là, conçu comme un « plus » ludique et un peu exotique, fonctionnait « à côté » de la progression pédagogique.
Dans cette hypothèse comme dans les échanges par mail qui en sont la version moderne, l’échange peut être considéré comme le recours à une classe « ressource », composée de locuteurs natifs d’un âge sensiblement équivalent, et aptes à communiquer des éléments authentiques. C’est par leur canal qu’on demandera tous les renseignements utiles et personnalisés qui serviront de base à un travail, ou viendront simplement répondre à une curiosité personnelle ou collective.
Il n’est pas rare que les enseignants approfondissent cette relation en initiant un contenu thématique commun : la classe avec qui l’on échange devient alors une « classe miroir », celle qui permettra d’établir des comparaisons et d’analyser les divergences, toujours dans le même esprit. On pourra alors mener certaines discussions et échanger des points de vue, pratiquer la langue dans un cadre authentique avec des partenaires appelés à s’exprimer de façon encadrée sur un sujet fixé à l’avance. Si le contenu global de la communication est préétabli, les modalités restent ouvertes, et l’authenticité de la langue est garantie.
Il existe plusieurs possibilités, non exclusives les unes des autres. En privilégiant l’entrée par les compétences, les choix s’établissent naturellement : si l’on choisit d’entraîner la compréhension et/ou l’expression écrites, on privilégiera l’échange de documents texte ou de courriels, selon le contenu visé. On peut aussi avoir recours au forum, qui permet de laisser des messages qui auront été contrôlés par le professeur. Mais on peut tout aussi bien entraîner la compréhension et l’expression orales en échangeant des fichiers son. La banalisation des TICE a ouvert de ce côté là des facilités nouvelles. Toutes ces modalités initient une communication asynchrone – souvent plus facile à organiser pour des questions d’emploi du temps. On peut aussi privilégier la communication synchrone : appels téléphoniques via internet [1], voire les webcams et la visio-conférence. Ces équipements ne sont pas toujours disponibles, et on ne peut négliger la part de risque technique.
Enfin, on peut recourir au « chat » : cette solution là est moins simple qu’il n’y paraît. La quasi-totalité des établissements ont installé un filtre sur leur serveur, pour….bloquer les « chats » ! Il faut donc s’assurer au préalable que ce mode de communication est possible. Et il ne reste « plus qu’à » libérer le deux classes le même jour à la même heure ! Outre ces restrictions matérielles, on se demandera aussi ce qu’on attend du « chat » : les adolescents en font certes usage, même si la mode est en train de se transférer sur d’autres moyens de communication. Mais la langue utilisée est-elle celle que l’on attend ? Avec son écriture souvent phonétique et ses codes d’abréviations ? Dans une situation authentique, les natifs sont bien loin alors de la langue standard. C’est un paramètre dont on peut difficilement faire l’économie.
Pour que cette communication fonctionne, il s’avère utile de fixer certaines règles : un échéancier, bien sûr, qui tient compte des dates de vacances, et fixe le nombre des échanges. Mais aussi des décisions sur la langue de travail retenue. Quand parlera-t-on quelle langue ? Alternera-t-on à l’intérieur des échanges ? En changera-t-on lorsqu’on change de thème ? Tout est possible, mais pour que l’échange se déroule de façon suivie, il est essentiel de trouver un accord formalisé sur ces points.
Dans une époque marquée par la mobilité croissante des individus, l’objectif final (qui n’exclut pas les précédents) est de plus en plus souvent de se rencontrer. Car « faire un échange », c’est aussi partir en voyage avec la classe. Nombreux sont ceux qui ont fait cette expérience qui a marqué leur adolescence : Ils ont alors fait du tourisme avec ou sans leurs correspondants, des visites éventuellement préparées à l’avance et avec un contenu culturel fort, des rallyes –découverte à travers leurs villes de séjour. Ils se sont entraînés en classe pour savoir comment ils prendraient contact avec leur « famille d’accueil », ont simulé un passage dans un magasin, l’achat d’un objet, se sont entraînés à demander leur chemin s’ils s’étaient perdus... De cette aventure, ils ont rapporté des souvenirs et des amitiés durables, un carnet de voyage ou un journal de bord, des documents authentiques parfois, et une forte motivation pour l’apprentissage de la langue.
Longtemps axés sur une découverte passive ou formelle de l’altérité, les échanges ont progressivement intégré des éléments plus dynamiques et structurés : une part de l’expérience consistait à observer, à comprendre, à analyser les ressemblances et les différences en référence à son propre quotidien. S’approcher du miroir, en quelque sorte, pour élargir ses connaissances.
Réfléchir aux échanges à partir des conclusions formulées par Christian Puren sur l’évolution historique de la didactique des langues – cultures étrangères, permet une mise en perspective nouvelle [2] . Toutes les démarches évoquées ci-dessus lient intimement des héritages des méthodologies dites « actives »en usage jusqu’aux années 1960, et ceux de l’approche communicative qui lui a succédé : dans le premier cas, l’accès à des documents en langue étrangère poursuivait l’objectif d’élargir des connaissances grâce à des éléments de « civilisation ». Dans le second, on quitte le domaine de l’explication pour privilégier l’interaction. Ce sont les représentations qui sont au cœur de l’étude, et la perspective est interculturelle. Reproduire, s’exprimer, s’informer et informer sont les mots clef qui bâtissent un apprentissage dans lequel dire, c’est faire.
Or depuis le début du 21ème siècle, plus précisément avec l’élaboration du CECRL par le Conseil de l’Europe, l’enseignement des langues est en mutation. Il est désormais axé sur la réalisation de tâches, au centre desquelles se trouve l’action : agir ensemble, réagir, dire pour faire sont devenus les incontournables de la pédagogie des langues. Et la rénovation des pratiques induit de facto une réflexion sur le contenu des échanges. Ne peut-on, là aussi, donner du sens à l’expérience de l’altérité en l’inscrivant dans la perspective actionnelle ? En d’autres termes, « faire un échange », n’est-ce pas l’occasion privilégiée de permettre à l’élève de devenir un acteur social à part entière [3] ?
Mettre la tâche au centre de l’échange, c’est alors se demander sur quel résultat observable et évaluable débouchera la rencontre : pourquoi/ pour quoi rencontrer un ou des partenaires ? Il ne s’agit plus seulement de parler avec des correspondants, mais bien de le faire pour agir avec eux, de réaliser en commun des actions sociales. C’est le modèle de la « classe partenaire ».
La question se pose pour tous les types d’échange. Qu’ils soient « en présentiel », à distance, ou qu’ils combinent les deux, seules les modalités, et la tâche finale changent de forme. L’esprit reste le même : quelle sera la production commune réalisée au cours de l’échange ? Comment les élèves agiront-ils ensemble de façon co-culturelle ?
Orienté sur l’action, et non plus uniquement sur les connaissances, l’échange vise à mettre en valeur ce que l’élève peut faire avec la langue ou avec ses connaissances culturelles. En lui proposant de créer quelque chose, il s’inscrit avec les correspondants dans une co- réalisation porteuse de sens. On pourrait craindre que l’existence des programmes ne crée ici une difficulté supplémentaire, en ciblant un domaine particulier : Tradition et modernité pour le palier 1 des collèges, l’ici et l’ailleurs pour le palier 2, l’art de vivre ensemble en 2nde. Mais on peut aussi considérer que ce sont autant d’aides, qui indiquent des domaines à la portée des élèves selon leur maturité, leur niveau d’acquisition de la langue, et leur domaine de compétences. Les tâches proposées, adossées au CECRL, seront du même ordre que celles qui jalonnent le parcours d’apprentissage, mais elles seront cette fois objet d’une rencontre et d’une construction commune. Hors du périmètre de la classe, l’élève aura la possibilité de jouer son rôle d’acteur social. Il conviendra pour cela de cibler précisément un contenu et une forme pour cette réalisation. Grâce à la reconfiguration de ses acquis, l’élève développera des savoirs nouveaux avec ses partenaires, et initiera ainsi une compréhension en profondeur du pays concerné.
Le contenu correspondra aux intérêts et aux goûts de tous, enseignants et élèves. Les pistes sont nombreuses, qui favorisent une entrée co-culturelle : les habitudes alimentaires, l’écologie au quotidien, l’image de l’Europe future et le positionnement, la ville ou la maison idéale, une école nouvelle, la littérature de jeunesse, cinéma et musique, les possibilités sont infinies.
La forme répond à davantage de contraintes : s’agit-il d’une réalisation sous forme de spectacle, comme un concert donné en commun, une soirée à thème, un repas élaboré et pris en commun, des danses, un spectacle théâtral ? De l’organisation d’un remake de jeu télévisé connu de tous ? De la production de documents informatifs ou réflexifs : exposition, réalisation d’affiches ou de collages, d’un site internet, d’une enquête ? D’un travail d’écriture sous forme de journal ou de nouvelles ? De la réalisation commune de « jeux de plateau » que chaque classe pourra ensuite conserver ? De s’intéresser aux sciences, et de s’approprier les différentes méthodes retenues pour les enseigner dans les deux pays ? L’essentiel réside dans la co-construction commune, qui créera le lien véritable entre les participants.
Il faudra alors fixer des critères précis, qui permettront de cibler les compétences (pas seulement linguistiques) mises en œuvre, et éventuellement de procéder plus tard à une évaluation des acquis.
Conçu dans la logique des activités de classe, l’échange profite ainsi de la rénovation des pratiques pédagogiques : Il s’inscrit naturellement dans un enseignement piloté par la tâche. Bien plus, il apparaît comme le passage privilégié de la tâche à l’action (tâche réelle)1, dans la société. Quittant le monde de l’ « exercice » où la langue est un objet d’apprentissage, il prend tout son sens en favorisant la mise en œuvre de la langue dans une action concrète, menée par l’élève. Ici comme dans sa classe, le professeur devient chef d’orchestre, médiateur, facilitateur. L’élève change lui aussi de rôle : acteur de la rencontre des cultures, il s’implique dans une communication authentique, et utilise la langue pour réaliser un projet porteur de sens. En s’engageant dans une démarche co-culturelle, il n’acquiert plus seulement des savoirs ; il poursuit la construction de son attitude par rapport au monde marqué par le mélange des cultures et la mobilité. Préfigurant ce qui sera peut-être attendu de lui dans l’avenir, lorsqu’il coopèrera dans le monde professionnel avec des ressortissants de différents pays, il apporte sa pierre à l’émergence d’une identité européenne.