Expérimenter des « modules » de classe inversée en anglais au lycée

, par Sophie Boudjenane

Vers l’hybridation en cours d’anglais : le point sur la recherche

Une salle de classe est un centre permanent d’expérimentations pédagogiques plus ou moins heureuses. A l’heure où l’école entre dans le numérique, chacun tente de mettre sa pierre à l’édifice, mais souvent, les outils changent, pas la pédagogie. Cette résistance au changement n’est pas nouvelle. Pour Marcel Lebrun [1] : « Dans notre vie de tous les jours, lorsque nous sommes confrontés à quelque chose de neuf – un nouvel ordinateur, par exemple –, nous examinons d’abord si nos fichiers sont récupérables et si nos usages antérieurs sont toujours bien possibles. »

L’apparition des MOOC (massive open online courses, c’est à dire des cours en ligne) et de toutes ses déclinaisons ont montré qu’il était facile de mettre à la disposition de tous un certain nombre de savoirs, le MOOC a externalisé les savoirs. Fort de ce constat, il nous faut repenser nos approches pédagogiques.

« Clairement, les classes inversées évacuent, si on peut dire, la partie transmissive voire l’appropriation des savoirs cristallisés, hors de la classe pour redonner à cette dernière son potentiel d’apprentissage et de co-apprentissage. Il en résulte aussi une révision des statuts des savoirs (en particulier ceux de nature informelle), des rôles assumés par les étudiants et les enseignants… En outre, nul besoin de « flipper » tout son enseignement en une fois : il peut s’agir d’une activité parmi d’autres, quelques semaines sur le quadrimestre. De quoi expérimenter et évoluer en douceur. » [2]

C’est à la suite de cet article de 2015 que je me suis lancée dans la création de modules de classes inversées. Les outils et les ressources mis à notre disposition sont infinis et permettent une hybridation (blended learning) de la pédagogie en cours de langues, à savoir, un peu de cours classique, « frontal », beaucoup d’approche actionnelle, le recours fréquent au numérique, un soupçon de classe inversée, en d’autres termes une transition en douceur vers des méthodes différentes, permettant une plus grande différenciation pédagogique et une individualisation des pratiques.

Charlier, Deschryver et Peraya définissent l’hybridation « comme un mélange fertile et en proportions variables de différentes modalités de formation, en présentiel et à distance mais aussi entre des postures d’enseignement transmissif et des postures davantage liées à l’accompagnement de l’apprentissage ». (Charlier, Deschryver & Peraya, 2006).
 [3] Charlier, B., Deschryver, N. & Peraya, D. (2006).
 [4]

L’expérimentation

Contexte de l’expérimentation : Lycée Louis Bascan de Rambouillet, un très gros (2600 élèves) établissement de centre ville accueillant une population d’élèves très hétérogène.

Mon expérimentation, modeste dans ce lycée général est partie d’un constat :

Les bases grammaticales de la langue, censées être acquises au collège semblent être oubliées par les élèves qui entrent en seconde. Après avoir passé de nombreuses heures en cours frontaux à essayer de réactiver en vain ces notions, j’ai décidé d’externaliser ces cours de façon à perdre moins de temps en classe et à m’adresser à chacun selon ses besoins, donc avec la possibilité de faire une différenciation. L’objectif de ces modules n’est pas seulement la réactivation des bases grammaticales acquises au collège, mais aussi l’approfondissement de ces notions afin de parler à chacun selon son niveau de compétence. En arrivant en classe, l’élève pourra utiliser les connaissances de la classe inversée pour pratiquer la langue en classe.

Prenant appui sur certaines expérimentations de classes inversées existantes en ligne, j’ai choisi de suivre un schéma récurrent et facilement identifiable par les élèves, à savoir :

 1. j’apprends / je revois ma leçon (souvent une vidéo très simple)

 2. je vérifie que j’ai compris (étape obligatoire très courte, faite avec un Google formulaire qui me permet d’avoir une trace du travail des élèves et donc d’adapter la suite de mon cours aux besoins des élèves. La vidéo et le formulaire à remplir forme la base de ce module de classe inversée et doivent être le plus rapide à faire possible)

 3. J’imprime un récapitulatif à coller dans mon cahier si besoin (on commence à individualiser ici)

 4. Je m’entraine (sont mis à la disposition des élèves des exercices en ligne avec la correction, voire le feedback, classés par difficultés croissantes, permettant à chacun de travailler en fonction de ses besoins)

 5. Je me teste (un test en ligne obligatoire pour tous qui arrive sur ma boite mail, suivant les outils choisis, le test peut être en auto-correction, c’est le cas de celui proposé en exemple)

Le tout est regroupé sur un Padlet (un mur virtuel) et déposé sur mon blog.

Un exemple
Pour faire défiler la page vers le bas, utiliser le curseur à droite.

L’ouverture de plateformes de e-éducation (comme Eléa sur l’académie de Versailles ) va permettre de déposer ces modules et de suivre le travail des élèves avec un seul outil sans avoir à passer par un blog. Bien sûr, il faut au moins une séance de manipulation de l’outil avec le professeur en classe avant que l’élève puisse se lancer seul dans l’aventure. Pour ma part j’ai choisi de mettre à leur disposition (sur le blog et sur papier) un tutoriel pour leur rappeler comment cela fonctionne.

Retour d’expérience

Expérimentée dans mes classes depuis le début de l’année, j’ai un retour positif des parents et des élèves sur cette méthode. J’ai constaté que les élèves les plus faibles s’étaient bien appropriés l’outil, que cette méthode, comme d’ailleurs souvent l’utilisation du numérique en classe permettait de « raccrocher », de « récupérer » les élèves ayant tendance au décrochage scolaire.

Ceci étant, les difficultés rencontrées lors de la mise en place de ces modules sont les mêmes qu’avec l’utilisation de tout outil numérique en classe ou à la maison. Nos « digital natives » n’ont plus aucun réflexe numérique lorsqu’il s’agit de travailler en ligne, on se retrouve confronté aux mêmes problématiques qu’avant, lorsqu’on donnait la leçon à apprendre et des exercices à faire, une partie de la classe n’aura pas fait le travail demandé, prétextant des problèmes d’ordinateur, de blog qui ne fonctionne pas...

La conclusion est qu’il faut repenser en même temps que la pédagogie, les lieux d’apprentissage, offrir à ces élèves la possibilité de travailler au lycée, dans des endroits dédiés, et même dans l’idéal, organiser dans la salle de cours même, une station d’accueil –deux ou trois tablettes ou PC, derrière une séparation symbolique-qui permettrait aux élèves de rattraper en début d’heure les activités en ligne non faites.

Notes

[1Marcel Lebrun, docteur en Sciences, est actuellement professeur en technologies de l’éducation et conseiller pédagogique à l’Institut de Pédagogie universitaire et des Multimédias (IPM) de l’UCL (Université catholique de Louvain à Louvain-la-Neuve, Belgique)

[2Marcel Lebrun : l’école de demain : entre MOOC et classe inversée

[3Bernadette Charlier : Professeur au Département des Sciences de l’Education de l’Université de Fribourg, Nathalie Deschyver : Docteur en sciences de l’éducation et spécialisée en technologie de l’éducation : Université de Fribourg et de Genève, Daniel Peraya : Docteur en Communication, Université de Genève.

[4Charlier, Deschryver et Peraya : Apprendre en présence et à distance : Une définition des dispositifs hybrides.Distances et Savoirs
2006

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